Le tatouage, acte pratiqué depuis la plus grande antiquité, partage son caractère indélébile avec la scarification et la flétrissure. Le tatouage peut d’ailleurs lui être associé par l’application de pigments au moment de la brûlure. La pérennité de ces inscriptions les différencie fondamentalement d’une autre pratique millénaire : la peinture corporelle.
L’inscription dans la chair, soit par le tatouage chez les sujets à peau claire, soit habituellement par la scarification chez les hommes à pigmentation plus importante, est une manifestation socioculturelle de rejet ou d’identification. En effet, la scarification rituelle africaine et le tatouage initiatique des détenus ne sont pas si éloignés culturellement l’un de l’autre. Dans le cas de l’Africain, il s’agit d’une assimilation à une population d’hommes aguerris avec sous-entendu le rejet du statut de l’animal. Chez le détenu, fier de son séjour carcéral, le tatouage lui permettra de se démarquer de ses voisins « non affranchis ».
Le tatouage est depuis toujours un moyen d’identification dont l’avantage, et bien sûr le principal inconvénient, résident dans son caractère définitif.
Le marquage cutané a depuis toujours été au centre des périodes charnières de l’évolution de l’humanité ; il n’est besoin que de citer le tatouage des esclaves romains, le marquage des africains au cours de la traite des « nègres », la flétrissure des bagnards et des prostitués, le tatouage des déportés et enfin, de manière très récente, la proposition de tatouages des personnes ayant une sérologie positive au virus vecteur du SIDA (virus HIV).
Le tatouage nous plonge donc dans l’histoire et les coutumes des pays occidentaux et orientaux, ceci depuis l’aube de l’humanité jusqu’à nous jours.
La date d’apparition des premiers tatouages est bien difficile à déterminer avec précision. Certes les fresques murales retrouvées sur les parois des grottes habitées au néolithique représentent des humains surchargés de striures, mais il est réellement impossible d’affirmer qu’il s’agit de tatouages et non de simples peintures corporelles.
Les tatouages les plus anciens sont probablement ceux retrouvés sur les peintures rupestres du Tassili (Algérie) reproduisant des femmes tatouées sur le thorax par des lignes pointillées convergent vers les aréoles mammaires. Les momies égyptiennes datées de la XI° dynastie (Moyen Empire : 2065–1785 avant J.C.) lors de leur mise à jour révélèrent de nombreux tatouages essentiellement chez les danseuses, les prêtresses et les musiciennes.
Le tatouage se pratiqua aussi chez les Scytes (700 avant J.C. 200 après J.C.), les fouilles entreprises dans l’Altaï en ex URSS en apportèrent des preuves formelles. Les Romains comme les Grecs furent grands utilisateurs du tatouage, le marquage des prisonniers et des esclaves en étant la principale motivation. Plus tard et dans une toute autre civilisation, celle des Mayas précolombiens, le tatouage du haut du corps se pratiqua couramment, l’examen des statuettes précolombiennes en terre cuite ou en pierre permet d’en retrouver les graphismes. La plus connue est certainement celle dite de « l4adolescent de Tamuin » sur laquelle figurent des tatouages linéaires situés sur la face postérieure des jambes, le cou et les deux bras.
Un des premiers tatoués célèbres au XI° siècle fut le roi anglais Harold II, n » en 1022, et qui mourut en 1066 à la bataille de Hastings. Son corps mutilé a été identifié par un tatouage au nom d’Edith situé sur la région pectorale gauche. La Chine du XIII° siècle relatée par Marco Polo est aussi fertile en tatouages. Le Japon, réputé pour son excellence dans cet art, en développa la pratique, il devint florissant entre le VII° et le XIX° siècles pour ensuite décliner en raison de la campagne lancée par les fonctionnaires contre les opulents kimonos brodés et les tatouages du corps entier. La nature humaine étant ce qu’elle est, le tatouage ne fit que prospérer dans ce pays mais cette fois-ci de manière masquée sous les kimonos les plus strictes.
Même si Magellan, lors de son expédition en 1521 aux Philippines, apporta l’existence d’indigènes intégralement tatoués, la révélation du tatouage en Occident est à mettre au compte du Capitaine Cook (1728–1779) qui, à l’occasion de ses voyages à Tahiti et 1772 et en 1776 (Voyage autour de la Terre–1772–1775–Cook ), découvrit l’art du tatouage des indigènes.
Enthousiasmés par la découverte de ce « paradis sur terre », les hommes de l’équipage se firent tatouer et l’expédition rapporta en Europe un splendide indigène tatoué baptisé pompeusement Prince Omaï. C’est encore au Capitaine Cook que l’on doit le mot tatouage dont l’origine phonétique est le mot « TA-TAU » qui définit les hommes ou les femmes tahitiens au corps richement décoré.
Depuis cette époque le mot tatouage est universellement reconnu. Nous devons aussi à Cook la description minutieuse de la technique et des graphismes du tatouage pratiqué dans cette île. De ces découvertes s’ensuivit à la fois une vogue importante du tatouage chez les marins et l’exposition d’indigènes puis d’occidentaux tatoués qui firent la fortune des directeurs de cirque et spectacles itinérants. Un aïeul du Comte Tolstoï se fit une réputation de salon par ses nombreux tatouages à motifs d’oiseaux réalisés lors d’un séjour forcé dans une île et qu’il exposait bien volontiers lorsque l’ambiance s’y prêtait.
Parmi les premiers tatoués célèbres, citons le Tsar Pierre le Grand (1672–1725) tatoué d’une hachette sur le poignet. Toujours en Russie, le Tsar Nicholas II (1868–1918) portait depuis son pèlerinage à Jérusalem une épée sur la poitrine. En U.R.S.S. enfin, Staline (1879–1953) faisait aussi partie de la grande famille des tatoués (une tête de mort sur la poitrine).
Le cas de Jean-Baptiste Bernadotte (1764–1844), devenu roi de Suède et de Norvège en 1818, a une place à part dans les annales de l’histoire du tatouage ; ce futur souverain se tatoua dans sa jeunesse au niveau de bras gauche un bonnet phrygien sous lequel étaient inscrits : J.B. 26-1-1764 accompagné de la devise : Liberté, Egalité, Fraternité, une tête de mort avec tibias entrecroisés, une croix gammée et comble de l’ironie, la sentence : « La mort du roi ».
Les rois du Danemark Christian V (1646–1699), Frédérick VIII (1843–1912) et Frédérick IX (1899–1972), furent tous tatoués, le dernier l’ayant été par le célèbre tatoueur londonien Georges Burchett sous la forme d’un dragon chinois situé sur la poitrine.
La Grèce fut moins représentée dans cet art mais tout de même Georges Ier (1845–1888). Puis Georges II (1890–1947) et son fils Constantin III né en 1940, en sont des adeptes.
En Allemagne, il faut citer en tant que tatoué le Kaiser Frédéric III (1831-1888). En France Henri III (1551–1589) arborait un tatouage du dos représentant une chasse au renard. L’Angleterre, haut lieu du tatouage, ne pouvait bien sûr laisser ses dirigeants insensibles à cet art. Le roi Edouard VII (1841-1910) et son fils George V (1865-1936) se firent tatouer lors d’un voyage à Yokohama, George VI (1895-1952) les suivit dans cette inclination.
Plus tard, Winston Churchill (1874-1965) portait une ancre de marine tatouée sur le bras gauche en souvenir de son séjour dans la marine : sa mère, elle-même tatouée, était décorée d’un bracelet de fleurs et d’une reproduction des armes de Mal borough, sa famille d’origine. Le Maréchal Montgomery ( 1887-1975) en avait fait de même.
Aux Etats-Unis, plusieurs présidents portaient des tatouages : Théodore Roosevelt (1858-1919), puis Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) : un écusson familial, suivis de Truman (1994-1972) et enfin de J.F. Kennedy (1917-1963). La conférence de Yalta en novembre 1945 était donc une affaire de tatoués (Staline, Roosevelt, Churchill) ! Une autre circonstance plus dramatique qui mit le tatouage à l’honneur fut l’assassinat de l’Archiduc François Ferdinand le 28 juin 1914 à Sarajevo ; selon le rapport d’autopsie le projectile pénétra au travers de la tête d’un serpent tatoué !
Parmi le Gotha des tatoués figure le peintre Fujita qui, lui-même tatoué d’une étoile à cinq branches et d’un simulacre de caleçon de bain, diffusa la mode du tatouage reproduisant les bas résille.
Le monde du spectacle, toujours à l’affût d’originalité, reste un bastion de cet art (Charles Trenet, Coluche, Michel Sardou, Sean Connery, et tant d’autres…).
L’histoire du tatouage ne peut être complète sans mentionner les tatoueurs les plus connus. Même si la première apparition de tatoueurs en Occident date des années 1860-1870, le premier tatoueur officiel enregistré à New York en 1846 fut Martin Hildebrandt. Le Japon, pays réputé pour ses tatoueurs, doit beaucoup de sa célébrité à Kanaé Kuronuma, (1875-1956) et son fils Tamotsu Kuronuma né en 1914, dont les noms d’artistes furent respectivement ; Horiyoshi I et II. Le père tatoua intégralement au moins 250 personnes. Cet art du tatouage japonais fut importé en Occident par Sailor Jerry Collins (1911-1973) originaire d’Honolulu, qui fonda avec Zéke Owens l’école californienne de tatouage.
D’autres écoles s’ouvrirent à Hambourg, New York, San Francisco, Londres et Sydney. Le tatouage anglais est bien représenté par Sutherland MacDonald surnommé le « Raphaël » ou le « Michel Ange », qui exerça dans les années 1900 à Piccadilly Circus. Lui succéda dans la renommée, Tom Riley, véritable stakhanoviste du tatouage, qui en aurait exécuté 17 000 dont 2500 chez les femmes, jusqu’en 1911. il dépassa d’une tête, si l’on peut dire, Albert South responsable, lui, de 15 000 tatouages dont 500 féminins. Georges Burchett restera un cas à part, surnommé en raison de sa clientèle : « Le Roi des Tatoueurs et le Tatoueur des Rois ». Il décéda en 1950.
Le léger déclin vers les années 1930 du tatouage anglais profita au renouveau du tatouage américain (the revival !) ; le plus réputé des artistes est sans conteste Lewis Alberts, mais sont aussi connus Charlie Brown, Charlie Wagner, Jack Hanley et George Kalitter.
En Allemagne, Karl Fonké (1865), Karl Rodemich et Christian Wahrlich (1964), ont acquis une certaine réputation.
En France, le « père Zéphirin » qui exerça son art en 1930, le « père Rémy » qui, après avoir longtemps séjourné en Orient, travailla avec le peintre Fujité, et le Maître Tatoueur Bruno qui exerça à Paris, sont sûrement les tatoueurs les plus connus.
Dans notre région, nous avons aussi les « vieux de la vieille », Bobo tatouant en dilettante avec Michel Burel d’abord, puis s’installant à Toulon en 1988 ; et Nino le tatoueur de la Basse Ville de Toulon.
Le tatouage ne laissa pas insensible la littérature ; Franz Kafka, en 1919, s’en inspira pour écrire La Colonie Pénitentiaire. Cette nouvelle décrit une machine infernale qui, à l’aide d’aiguilles alimentées en acide, dessine le motif de la condamnation dans la chair même de l’inculpé. Le diabolisme de cette invention réside dans le caractère très alambiqué de calligraphie obtenue : le supplicié met environ huit heures pour la déchiffrer, ce qui est largement suffisant à l’acide pour le tuer. Plus tard, la science-fiction utilisa le thème du tatouage sous la plume de Ray Bradbury qui écrit en 1940 un recueil de nouvelles : L’homme Illustre. Cet ouvrage relate les aventures d’un homme intégralement tatoué dont les dessins réalisent de véritables petites scènes d’action. La nuit, quand l’homme dort, ces tableaux s’animent et racontent des histoires. Malheur au curieux qui les examineraient car la seule zone vierge de tout tatouage se met alors en action et raconte l’avenir et ses misères !
L’humoriste Pierre Dac, non content d’inventer un musée de la mer qui exposerait un véritable bras de mer tatoué, se rendit célèbre par son numéro de mage avec Francis Blanche : « Monsieur est tatoué sur une zone que la décence m’interdit de préciser d’avantage et, quand Monsieur est en forme, ce tatouage représente d’un côté la cueillette des olives en basse Provence et de l’autre la prise de la Smala d’Abd el Kader par les troupes du Duc d’Aumale… et c’est en couleurs ! »
Il y aurait tant à dire sur le tatouage, mais ces quelques lignes vous feront traverser des siècles d’histoire de notre monde d’une manière plus amusante. C’est donc avec plaisir que je vous dis, futurs tatoués « bienvenue dans l’histoire » !