La presse et l’apparition miraculeuse de Proust
Le bon peuple n’aime pas le doute cartésien et ses médias sont à son image quand ils devraient donner l’exemple du questionnement raisonné.
Dans une scène cinématographique d’anthologie, Jacques Prévert fait dire à un personnage de Drôle de drame : « À force d’écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver ».
Pour évoquer l’événement filmique qui vient de nous saisir, je suis tenté de paraphraser : « « À force de vouloir admirer des miracles, les miracles finissent par arriver. »
Consciemment ou non, la Proustie a tant souhaité voir Marcel Proust vivant que la révélation d’un film où il apparaîtrait a été accueillie avec une ferveur totale —gobée, si j’ose dire les yeux fermés !
Même furtives, les images ont convaincu sans combat. Il n’y eut aucun doute à vaincre. Les journalistes ont succombé, béats. Ils ont pris pour argent comptant, sans se poser de question ce qu’une source unique leur livrait et que Jérôme Bastianelli a été le premier à diffuser le 13 février à midi 20.
@bastianellijero
Révélation dans le dernier n° de la Revue d’études proustiennes : on a retrouvé un film dans lequel #Proust apparaît (et c’est une 1ère !) pic.twitter.com/cGAgBPSmTb 12:20 – 13 févr. 2017 |
Mon blogue n’a pas été le dernier à la relayer. Dans une première chronique (voir L’ai-je bien descendu), j’ai accordé un crédit sans discussion à l’annonce de la Revue d’études proustiennes qu’un film montrait Marcel Proust animé. Les Proustiens s’en sont saisi, Marcelita Swann en tête, toujours à l’affût de tout ce qui concerne l’écrivain.
Les médias ont suivi bravement reprenant tous le même fond de sauce servi par l’éditeur de la Revue, Garnier : un auteur canadien, un mariage aristocratique à la Madeleine, un Marcel Proust au bout de 37 secondes, la caution des maîtres ès-proustisme Luc Fraisse (forcément objectif puisque directeur de la revue qui publie le « scoop ») et Jean-Yves Tadié. L’hebdomadaire Le Point ayant vite dégainé, c’est sa version qui est reprise le plus souvent.
Quelques titres : Le Figaro : Marcel Proust, à la recherche de sa première image filmée ; Le Monde : Est-ce bien lui ? Marcel Proust découvert dans un film de mariage de 1904 ; Libération : Marcel Proust apparaîtrait dans un film de 1904 exhumé par un chercheur ; La Croix : Marcel Proust révélé en vidéo ; Le Point : Et soudain apparaît… Marcel Proust ; L’Express : De supposées images de Marcel Proust retrouvées dans un film de 1904 ; Gala : Marcel Proust apparaît pour la première fois dans un film de 1904 exhumé par un chercheur ; 20 Minutes : Des images filmées de l’écrivain Marcel Proust auraient été découvertes ; Huffington Post : Un chercheur pense avoir découvert les premières images filmées de Marcel Proust.
Europe 1 : Marcel Proust pourrait apparaître sur un film de mariage de 1904 ; RTL : Marcel Proust apparait dans un vieux film en noir et blanc — L’écrivain français disparu en 1922 a été reconnu sur un vieux film en noir et blanc, datant de 1904.
TF1, journal de 20 h
France 2, journal du week-end.
Télérama, lui se contente de remettre en cause la paternité de la découverte : Faux scoop L’apparition de Marcel Proust dans un film, une “découverte” ? Non, c’était connu depuis trois ans ! (Voir la chronique C’est qui qu’a commncé ?)
Les étrangers, pas moins proustolâtres que les Français, ne sont pas en reste.
En Italie
La Stampa : E Marcel Proust apparve in un video : Il Secolo XIX : Marcel Proust per la prima volta in movimento : trovato film del 1904 ; Il Post : In questo video c’è Marcel Proust ? ; La Prealpina : Ricercatore canadese scopre filmato in cui appare Marcel Proust ; Il Messaggero : Marcel Proust in un filmato inedito del 1904 ; La Repubblica : Proust in video : la scoperta in un filmato del 1904
En Grande-Bretagne
The Guardian : Canadian professor discovers what could be only footage of Marcel Proust
En Belgique
De Standaard : Huwelijksfilmpje toont Marcel Proust ; De redactie.be : Wie zoekt, die vindt : Marcel Proust gespot in huwelijksfilm uit 1904 ; 7SUR7 : Marcel Proust apparaît sur un document filmé pour la première fois
En Allemagne
Frankfurter Allgemeine : Proust-Film aufgetaucht ? Der Mann mit dem goldenen Revolver ; Frankfurter Rundschau : Die wiedergefundene Zeit ; Die Welt : Live on tape – Marcel Proust, Klassiker
Aux Pays-Bas
De Volkskrant : Eerste bewegende beelden van Proust uit 1904 opgedoken
En Hongrie
Index : Előkerült az egyetlen olyan film, amiben Marcel Proust látható ; 444.hu : Először került elő filmfelvétel Marcel Proustról
En Roumanie
Ziarul de Iasi : Scriitorul Marcel Proust ar fi fost identificat într-un film din 1904 ; Mediafax : Premieră în lumea culturii: Scriitorul Marcel Proust, pe pelicula unui film din anul 1904. Descoperirea epocală a unui profesor canadian
En Pologne
Ljubimyczcytac.pl : Marcel Proust dostrzeżony w filmie
En Turquie
Memleket : Marcel Proust’a ait olduğu iddia edilen görüntü kaydı bulundu
En Espagne
El Mundo : ¿Es Marcel Proust el hombre del segundo 37 en esta película? : El Pais : Las primeras imágenes filmadas de Marcel Proust — Un investigador canadiense asegura que el hallazgo se encuentra en un breve vídeo de1904 ; Noticias : Hallan unas imágenes filmadas que pueden corresponder con Marcel Proust
· NoticiNoticiasHallan unas imágenes filmadas que pueden corresponder con Marcel Proust
Au Portugal
RTP Noticias : Professor canadiano pode ter descoberto a única filmagem de Marcel Proust
Au Brésil
En Argentine
Perfil, Periodismo Puro : Marcel Proust en el mundo de Guermantes
En Colombie
El Espectador : Marcel Proust in un filmato inedito del 1904
Aux USA
Quartz : Scholars think they’ve spotted Marcel Proust in film for the first time, in 110-year-old wedding footage ; Slate : Action Proust ! Film Footage of Marcel Proust Surfaces for the First Time ; The New York Times : Is This Really Marcel Proust in a Movie? ; The New Yorker : Marcel Proust, Caught on Film
En Chine
South China Morning Post : In search of lost Proust: film clip from 1904 may show revered author
En Inde
Hindoustan Times : In search of lost Marcel Proust: French novelist features in a 1904 short film
Divers
France 24 : First, and likely only, footage of French novelist Marcel Proust surfaces ; Expatica France : In search of lost Proust : Film may show revered author ; Yahoo News : In search of lost Proust : Film may show revered author
Le Point
Et soudain apparaît… Marcel Proust
VIDÉO. Émoi dans la communauté proustienne : on aurait retrouvé les seules images filmées connues à ce jour de l’auteur de « À la recherche du temps perdu ». Par Sophie Pujas
A-t-on retrouvé le premier film connu montrant Marcel Proust ? C’est l’opinion de Jean-Pierre Sirois-Trahan, professeur à l’Université Laval, à Québec. Il vient de révéler sa découverte dans le dernier numéro de la Revue d’études proustiennes (Classiques Garnier). Sur ces images de 1904, conservées aux archives du Centre national du cinéma, on voit un peu plus d’une minute du cortège nuptial d’Elaine Greffulhe, fille de la comtesse Greffulhe (principal modèle d’Oriane de Guermantes dans À la recherche du temps perdu) et d’Armand de Guiche, qui fut l’ami de Proust. Commandé par les Greffulhe, le film était sans doute destiné à leurs archives privées.
L’événement survient à la 37e seconde. Un homme seul, en redingote gris perle et chapeau melon, descend précipitamment les marches de l’église où a lieu la cérémonie. « Tout tend à faire penser qu’il s’agit de Proust, explique Jean-Pierre Sirois-Trahan. La silhouette et le profil lui correspondent, même s’il est toujours difficile d’identifier avec certitude quelqu’un sur un film de ce type, surtout si on ne le connaît que par des photographies où il pose. »
« Dandy à la mode anglaise »
Il est vrai que l’apparition est brève. Mais outre la ressemblance physique, plusieurs faits convergent. La présence de l’écrivain au mariage est attestée. Les images montrent un homme seul, or Proust était l’un des rares invités à ne pas être accompagné. Autre indice décisif : sa tenue. « Les habits qu’il porte, élégants mais qui tranchent avec ceux des autres hommes de cette noce, correspondent à ceux qu’il portait à l’époque, où il est un dandy à la mode anglaise. » Proust est alors un jeune trentenaire, mais surtout un mondain, admis dans les cercles aristocratiques parce qu’il est l’un des hommes les plus spirituels de Paris – loin du reclus peu soucieux de son apparence qui construira un livre monstre dans sa chambre tapissée de liège.
« Puisqu’on connaît chaque détail de la vie de Proust, sourit Luc Fraisse, directeur de la Revue d’études proustiennes, on sait aussi par plusieurs sources que, dans ces années, il portait chapeau melon et tenue gris perle… » Pour lui, aucun doute : « Il est émouvant de se dire que nous sommes les premiers à voir Proust depuis ses contemporains… Même si on aurait préféré qu’il descende ces marches un peu moins vite ! Mais cela s’arrangera quand on aura ralenti le film. »
Le grand spécialiste proustien Jean-Yves Tadié, qui a dirigé l’édition en Pléiade de La Recherche, ne cache pas non plus son plaisir : « J’ai toujours pensé qu’on finirait par le voir un jour sur un film d’actualité. La forme du visage, cette manière approximative de s’habiller : tout cela lui correspond, et l’identification me paraît tout à fait probante. Je trouve cette découverte très émouvante. » Et d’autant plus que Proust a toujours entretenu un rapport ambigu aux images filmées… Pourtant, Jean-Pierre Sirois-Trahan tient à demeurer prudent : « Il ne peut pas y avoir de preuve absolue qu’il s’agit bien de Proust. Mais dans tous les cas, c’est un document précieux sur le monde de La Recherche. »
Cette « vue animée » d’un peu plus d’une minute est en effet une plongée dans le monde de ces aristocrates à partir desquels Proust inventa les Guermantes. Et en particulier la comtesse Greffulhe. « Sur les photographies d’époque, elle a souvent l’air d’une petite chose fragile et mélancolique, explique encore Jean-Pierre Sirois-Trahan. Quand on la voit en mouvement, on comprend quelle femme conquérante elle devait également être – et c’est ainsi que Proust l’a décrite. » Bien qu’elle ait toujours refusé de se reconnaître dans ce portrait. « Il est étonnant qu’on n’ait jamais pensé à chercher Proust dans les archives filmées des Greffulhe, et cela aurait pu survenir plus tôt ! » estime Jean-Yves Tadié. « Cela en dit long sur les découvertes qui sont encore possibles – même sur un auteur chez qui tout semblait avoir été si minutieusement examiné…
8 comments to “La presse et l’apparition miraculeuse de Proust”
Cher Patrice, juste une petite précision : la citation « ce qu’il y a d’admirable dans le bonheur des autres, c’est qu’on y croit », vient du livre d’André Maurois « A la recherche de Marcel Proust » (p. 143 de la réédition de 2003 aux éditions La Mémoire du livre). Maurois la présente comme une phrase que Proust aurait dite à Antoine Bibesco… Encore une enquête à mener !
Tant d’intelligence et de connaissances chez mes visiteurs…
Lorsque Marcel paraît, des proustiens la famille
Applaudit à grands cris.
L’image qui sautille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus soupçonneux, les plus méfiants peut-être,
Se dérident soudain à voir Marcel paraître,
Vivant et merveilleux.
Pour les distraits, ce poème de l’ami Fetiveau est une re-création du début de Lorsque l’enfant paraît de Victor Hugo :
Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l’enfant paraître,
Innocent et joyeux.
S’il s’agit bien de Proust, on continuera cependant de se perdre en conjectures pour connaître le motif de son empressement à quitter La Madeleine. Au moins sa célérité confirmerait-elle le constat facétieux de Saint-Saëns, titulaire du grand orgue de 1857 à 1877, rapportant que les fidèles sortaient après la messe au fur et à mesure qu’entraient les voix de la fugue finale…
Mais en 1904, c’est Gabriel Fauré qui occupait cette tribune et peut-être se trouvait-il aux claviers lors de ce mariage. La sortie rapide de Proust n’aurait donc pas été le cas échéant imputable à la musique de ce maître qu’il vénérait ! Au contraire de Saint-Saëns qu’il « n’aime pas »…
Savoureux !
Patrice~
Alas, I never « felt » it was Proust.
My wish is only to publicize Proust…to bring new readers into our society.
Thus, the question, « Is this Proust? » is good public relations (PR). How many people have now decided, « I will read ‘Swann’s Way’! » ?
I explained on Facebook’s « Proustians Worldwide » several days ago, why I didn’t believe it was Proust.
My simple stand? Proust wouldn’t have been dressed in that manner! Remember how humiliated he was, when he arrived overdressed at one event? He even put that experience it the novel.
No, Proust was excruciatingly aware of clothing (just read those society articles), so to attend the wedding underdressed, sans gloves and cane, seems bizarre.
Plus, Proust tended to wear layers of clothing. Tthe most fascinating evidence is what Proust wore to his brother’s wedding, Feb. 2, 1903…both hilarious and sad.
I wrote to Bill Carter on Feb. 14th, that intuitively, when I first saw the moving images of that jaunty young man, dressed so inappropriately…at the grandest society wedding for one of his best friends…that it didn’t ‘feel’ congruent with my accumulated knowledge.
Why didn’t I « feel » it was Proust?
Maybe it was knowing that he was so ill the month before, that he couldn’t attend Albufera’s wedding,
or remembering how he looked on the yacht, ‘Hélène,’ three months before, in August 1904,
or how he looked, in Èvian, in September 1905,
or re-reading what Proust wore to his brother’s wedding in February 1903.
Of course we long to ‘see’ him, but we can’t be in kimono-mode. 😉
Marcelita
Horrors~Google Translated:
Patrice ~
Hélas, je n’ai jamais «senti» que c’était Proust.
Mon souhait est seulement de faire connaître à Proust … d’apporter de nouveaux lecteurs dans notre société.
Ainsi, la question: «Est-ce que c’est Proust? Est de bonnes relations publiques (PR). Combien de personnes ont maintenant décidé, « Je vais lire » Swann’s Way « ! » ?
J’ai expliqué sur Facebook « Proustians Worldwide » il ya plusieurs jours, pourquoi je ne croyais pas que c’était Proust.
Mon stand simple? Proust n’aurait pas été habillé de cette manière! Rappelez-vous comment il était humilié, quand il est arrivé overdressed à un événement? Il a même mis cette expérience, il le roman.
Non, Proust était atrocement conscient des vêtements (il suffit de lire les articles de la société), donc assister au mariage sous-vêtu, sans gants et la canne, semble bizarre.
De plus, Proust avait tendance à porter des couches de vêtements. La preuve la plus fascinante est ce que Proust portait au mariage de son frère, le 2 février 1903 … à la fois hilarant et triste.
J’ai écrit à Bill Carter le 14 février que, intuitivement, quand j’ai vu pour la première fois les images émouvantes de ce jeune homme vif, habillé de façon si inappropriée … au mariage de la plus grande société pour un de ses meilleurs amis … qu’il ne l’a pas fait, T ‘sentir’ congruente avec mes connaissances accumulées.
Pourquoi n’ai-je pas «senti» que c’était Proust?
Peut-être était-ce en sachant qu’il était si malade le mois précédent, qu’il ne pouvait assister au mariage d’Albufera,
Ou se rappelant comment il avait regardé le yacht, Hélène, trois mois auparavant, en août 1904,
Ou comment il a regardé, en ÈVIAN, en septembre de 1905,
Ou relire ce que Proust portait au mariage de son frère en février 1903.
Bien sûr, nous voulons le «voir», mais nous ne pouvons pas être en mode kimono. 😉
Marcelita
Ah, moi qui voulais comme vous l’autre jour en avoir fini !
Mais la piste d’Alain Babey pourrait être effectivement productive, à l’encontre de l’hypothèse sceptique certes mais c’est la loi de la recherche, même à temps perdu. Ce n’est pas ce qui m’interpelle le plus.
Le blogue de M. Gunthert, http://imagesociale.fr/4121 qui interroge l’administration déficiente de la preuve dans d’autres affaires d’apparitions célèbres, montre enfin un débat contradictoire entre universitaires sur notre credo, notamment avec M. Fraisse. Je relève aussi le lien de M. Gunthert vers un entretien de M. Sirois-Trahan où ce dernier déclare : « J’ai lu çà et là que l’homme qui apparaît sur les images n’est peut-être pas Proust mais simplement un journaliste. C’est toujours possible ; chacun a le droit à son opinion. Or, si l’on emploie le rasoir d’Ockham (« Les hypothèses les plus simples sont les plus vraisemblables »), il eut fallu qu’au même mariage se trouvât un journaliste sosie de Proust, habillé de la même redingote et du même chapeau, comme un dandy tiré à quatre épingles. Le photographe qui le suit est habillé bien pauvrement. Cette hypothèse semble donc peu probable. » Réponse décoiffante de M. Gunthert à propos du rasoir, mais nous ne savons pas encore si Proust portait un tube ou un melon ce jour-là.
PS : sur l’argument récent de M. Sirois-Trahan, il a déjà été remarqué dans ce site que plusieurs photographes étaient encore mieux habillés que le moustachu à chapeau melon.