Proust, Macron et le bordel

L’écrivain et le président font le même usage du mot… Ils ne l’écrivent ni le prononcent dans leur expression publique mais ne feignent pas de l’ignorer en privé.

Référons-nous au Dictionnaire de l’Académie française.

Dans le sens de « grand désordre », bordel est absent d’À la recherche du temps perdu, expression publique de Marcel Proust. Prenons une phrase incluant cet état :

*Aussi, quand Françoise voyant Albertine entrer par toutes les portes ouvertes chez moi comme un chien mettre partout le désordre, me ruiner, me causer tant de chagrins, me disait (car à ce moment-là j’avais déjà fait quelques articles et quelques traductions) : « Ah ! si Monsieur à la place de cette fille qui lui fait perdre tout son temps avait pris un petit secrétaire bien élevé qui aurait classé toutes les paperoles de Monsieur ! VII

Le chien met le désordre, il ne fout pas le bordel.

Génie de la littérature, Marcel Proust connait son français sur le bout des doigts et sait écrire « bordel ». Mais c’est dans une lettre (couverte par le secret de la correspondance) au père de sa mère, le 18 mai 1888 :

*« Mon cher petit grand père,

Je viens réclamer de ta gentillesse la somme de 13 francs que je voulais demander à Monsieur Nathan, mais que maman préfère que je te demande.

Voici pourquoi. J’avais si besoin de voir une femme pour cesser mes mauvaises habitudes de masturbation que papa m’a donné 10 francs pour aller au bordel. Mais

1, dans mon émotion j’ai cassé un vase de nuit, 3 francs ;

2, dans cette même émotion je n’ai pas pu baiser.

Me voilà donc comme devant attendant à chaque heure davantage 10 francs pour me vider et en plus ces 3 francs de vase.

Mais je n’ose pas redemander sitôt de l’argent à papa et j’ai espéré que tu voudrais bien venir à mon secours dans cette circonstance qui tu le sais est non seulement exceptionnelle mais encore unique : il n’arrive pas deux fois dans la vie d’être trop troublé pour pouvoir baiser… »

« Bordel » est en toutes lettres. Mais c’est la vie privée. Pareil pour le président de la République qui ne bride pas sa langue quand, dans un couloir, loin des projecteurs, il fustige ceux qui « foutent le bordel ».

De même, je suis sûr qu’Emmanuel Macron n’usera jamais de « baiser » dans le sens où Marcel Proust conclut sa lettre lors d’une intervention officielle.

Mieux, je vous en fiche mon billet. Si je me trompe, ce serait croquignolesque.

Parole de proustiste…

PS : En réalité, le président français semble avoir confondu « croquignolet » et « croquignolesque » en prononçant ce dernier mot dimanche soir à la télé. Le premier est dans le Dictionnaire de l’Académie :

« Croquignolesque » n’y est pas. Il est créé sur un personnage de bande dessinée (dixit le Larousse, tandis que le Robert en fait une variante de « croquignolet »). Il s’agit des Pieds Nickelés de Louis Forton, Croquignol, Filochard et Ribouldingue. Après le rimbaldo-chiraquien « abracadabrantesque », un mot fortono-macronien. Loin de Proust, très loin…